Les Cloisons d\'Argent

Les Cloisons d\'Argent

Monsieur B- dérange.

Cette après-midi, alors que je me promenais, j'ai rencontré Monsieur B-.

Monsieur B- est veuf, il a une soixantaine d'années, et des problèmes de santé. Monsieur B- n'a pas de famille, pas de logement, pas d'emploi, il ne peux pas manger tous les jours, il ne peux pas se laver tous les jours.

Monsieur B-, à la fac, tout le monde voit à peu près qui c'est. Il y passe ses journées, il nous parle un peu parfois, il demande 50cts pour un café, il demande si les études avancent bien. Avant, il allait lire à la bibliothèque, mais on ne veut plus de lui là haut.

Monsieur B- dérange.

 

Monsieur B- pourrait être fou. Il pourrait être agressif, ou malhonnête, ou il pourrait être déjà si loin de nous que vraiment, il n'y aurait juste plus rien à faire que de s'en préserver, comme on fait tous, tout le temps, avec les SDF. Passer sans regarder.

 

Mais Monsieur B- est un homme instruit, raisonné, encore maintenant, et ça tient du miracle.

Cette après-midi, je suis allée boire un café avec Monsieur B-. Pas parce que j'en avais vraiment envie, c'est vrai, mais parce que j'avais décidé de pas laisser les gens dans la merde, dans la mesure de mes capacités, et que ça, je pouvais faire. Et parce que cet homme force le respect, pousse à la curiosité, inspire l'empathie.

 

Et c'était effrayant, ce café avec Monsieur B-. Parlez avec Monsieur B-, en deux heures vous aurez un aperçu exacte de notre sécurité social, de l'amour du prochain, et de l'énorme chape de peur qui pèse sur chacun de nous, et qui fait qu'on ne boit jamais de cafés avec les Monsieur B-. Monsieur B- est comme moi, il pourrait être moi, ou n'importe lequel d'entre nous. Pour une raison qui m'échappe, n'importe qui ne pourrait pas être lui. Oui, quel force cet homme là a! Nous, on serait surement devenus fous, on ne peux pas savoir. Pour me rassurer, je me dis que c'est les livres qui sauvent, bien sûr, mais je n'y crois pas trop.

 

Il n'a même pas fait de mauvais choix, il a juste perdu le fil à un moment, un petit moment, parce qu'il était fatigué et que d'autres en ont profité. Ce n'est même pas un martyr, c'est un malchanceux. On à choisi ensuite d'en faire un disgracié.

 

Est-ce que boire un café avec cet homme, ça fait de moi aussi une marginale? A voir les coups d'oeils des gens qui passaient devant la terrasse, je crois bien que oui. Je défie chacun d'entre eux d'oser repasser tout seul et de nous regarder comme ça à nouveau, sans la sécurité du groupe, sans l'appui de l'opinion générale.

 

Mais Monsieur B- et moi, on est pas fous, pas encore, on a des forces et des projets. Il a même encore des espoirs. Et moi, en plus, j'ai la chance (la chance?) qu'on ne me ferme pas les portes parce que je n'ai pas eu la possibilité de prendre une douche ce matin, ou de dormir ailleurs que dans la rue.



05/05/2013
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