Autoportrait sans miroir
« Monsieur M- a posé le défi de l’autoportrait. C'est un défi plus grand que celui de la lecture. Mais j'ai heureusement commencé à aiguiser mes armes en vue de ce jeu là bien avant que l'idée ne surgisse. »
Autoportrait sans miroir - 21/03/13
"Connais-toi toi-même. Faut-il en faire le devoir de chacun ? Sans doute que non.
Ce n'est que dans la mesure où je ne me connais pas moi-même que je peux me réaliser et faire quelque chose.
Seul celui qui se trompe sur soi, qui ignore les motifs de ses actes, peut œuvrer. Un créateur, qui est transparent à lui-même, ne crée plus."
Cioran
San je suis San
S : Mon amie exemplaire, le miroir réformé en modèle qui éponge le vide
A : le corps né du père et de la mère, le prénom reçu en héritage
N : le facteur Émotion
Parfois, soudain, je dois arrêter de manger.
On m'a demandé de m'écrire, et j'ai cessé de m'alimenter. Il a fallu créer un espace intérieur trop grand, qui m'obliger à regarder en moi-même, et je le traduis toujours par du vide physique : la faim. Parce que c'est la sensation de vide, même artificielle, qui fait lien entre mon corps, mes mots, et moi.
Je deviens alors un chasseur, et plus mon espace interne est plane et dégagé, mieux je distingue les mots qui s'y promènent, qui s'y côtoient, qui s'y cachent. Eux ne s'arrêtent jamais. Ils se dévorent, se reproduisent, apparaissent et s'effacent. C'est un microcosme qui grouille, mais pas de vie.
La vie est dans mon corps : mes yeux, mes oreilles, mon nez, ma bouche, ma peau. C'est un corps fin qui ne supporte ni la fatigue, ni le stress ; car c'est un corps-éponge. Il absorbe tout ce qui l'entoure. Le contact aux autre, mais aussi à l'espace, à la lumière, au mouvement de l'animé et de l'inanimé.
C'est un corps dont les muscles sont presque absents, presque inutiles. J'ai dû choisir de ne pas exploiter ma force physique quand j'ai cesser d'être enfant. Parce que, sûrement, elle avait cessé d'être utile à mes mots au moment ou les jeux on cessés d'être utiles à l'apprentissage. J'y reviendrai peut-être, plus tard.
Actuellement, c'est donc un corps fait de cinq sens, et en cela un corps très faible qui se tient toujours en alerte. Je ne sais ressentir la vie dans mon corps que par la tension. J'ai conscience de lui par l’attention pleine et constante, épuisante, qu'il porte de lui-même au monde extérieur et aux autres, souvent jusque dans le sommeil.
Je suis parfois dans mon corps comme une étrangère. Il peut être parfaitement autonome, mais ce sont la plupart du temps mes mots qui le dirigent. Je n'ai presque pas de prise sur lui et il sait des choses qui me surprennent ou m'effrayent. Il garde la mémoire d'un vécu physique et émotionnel que j'ai, moi, oublié, et qui me handicap parfois, et parfois me sert.
Je me rend compte que je dois parler aussi du facteur émotion dans la trame de ma construction. L'émotion comme le reste est gérée par les mots depuis que j'ai quitté l'adolescence. Elle est prise en compte ou non, elle est la seule force qui résiste encore au langage. Elle est l'expression d'une source plus profonde et indescriptible, je crois, à laquelle je reviendrai plus tard.
J'ai confiance en mon corps. Adolescente, je l'ai détesté. Puis j'ai cessé de le vouloir différent et je suis allé là où on l'accepterai comme il est. Au moment où j'ai compris qu'il fallait l'utiliser en binôme avec les mots pour lui donner sa force, pour qu'il ne soit plus asservi par l'émotion. C'est un corps qui obéit donc aux mots maintenant, et de mieux en mieux ; quand j'ai compris comment l'y forcer, il m'a été facile de le rendre plus beau, de lui redonner un peu de l'unité de l'enfance. Je sais que cela s'est vu aussi à l’extérieur. J'ai l'aime plus depuis que j'aime plus mes mots.
J’apprends leurs richesses et leurs forces, mais j'apprends à les exploiter comme des bêtes de somme aussi, à les maintenir en travail à la surface de ma conscience pour ne pas les oublier, je m'en fais une armée, lentement.
Ainsi je prend le contrôle. Car le ''moi'' qui n'est ni le corps, ni les mots n'a aucun lieu d’existence propre. Il est sans origine, instable, informe ; en moi tout autant qu'en toi. C'est une conscience de volonté qui existe par sa propre incapacité à exister, fantomatique mais bruyante. Ce ''moi'', je le vois, me pousse au dos constamment, mais est aussi ma grande faiblesse. C'est un paradoxe pur et impossible à réprimer. Il me traverse en émotions, et il est la raison qui me pousse à brider mon être avec des mots. J'arriverai peut-être à ne lui laisser que cette voie de passage vers l'existence et à le comprendre. Alors je saurai ce qu'il crie dans sa langue inconnue.
- 29/04/13 :
« Là devait s'arrêter le premier autoportrait. Sur l'affirmation, aussi, de ce que je ne peux pas encore dire - parce que ce n'est pas encore compris - de mon rapport aux autres. Je me définis par la tension qui m'habite, par la question qui se débat dans les filets de ma conscience et qui est le lien moteur de toute ma construction d'individu comme d'être humain en général.
Je me crois très humaine, c'est à dire assumée pleinement en tant que tel, comme je définis subjectivement ce qui doit être humain. C'est ce que j'essaye de faire, être humaine, le mieux possible.
Duras parle de « fausse question » pour l'Autoportrait, et je la crois. Quelque soit ma façon de procéder, j'évacue toujours la description pure au profit de l'explication. Je trouve seulement que la nature même du procédé fausse le résultat. Je me décrirais sans m'expliquer ? Faute de meilleure comparaison, je dirais que ce serait un peu comme parler du bon fonctionnement d'une machine sans savoir à quoi elle sert. »